Sarn de Mary Webb

Le charme puissant de Sarn

 

Je viens de relire Sarn, de Mary Webb, vingt ans après l'avoir découvert et je suis retombée sous le charme de ce véritable bijou de la littérature anglaise. 

 

Un bijou ? Le terme n'est pas tout à fait adapté pour ce texte qui égale en puissance romanesque et en lyrisme de l’écriture Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë, ce génie un peu fou parmi les génies.

Les romancières anglaises ont ceci d’incomparable, leur capacité à trousser des histoires diablement alertes, d'émettre une foule de réflexions intelligentes sans jamais devenir ennuyeuses et de mener l'action tambour battant grâce à des dialogues plein de saveur originale. La réalité qu'elles font surgir sous nos yeux nous captive et ne cesse de nous émouvoir. Ainsi, Sarn.

Mais ce roman, s'il reste très anglais, déborde de tout formalisme et défie tout étiquetage. Il est universel par sa thématique - l’expérience de  l’infirmité face à la société, moqueuse et intolérante, - par sa saisissante  proximité avec l'humain. L’œuvre romanesque, là, n’est plus un exercice d’expression littéraire destiné à briller et à séduire, non, elle nous frappe, nous matraque presque, habitée d’une densité sauvage, portée par l'âpreté de la langue lorsque Mary Webb fait suinter la haine des coeurs et des bouches ; ou au contraire nous enchante lorsqu’elle laisse couler le velouté de la phrase pour capter les premiers frémissements du printemps naissant ou plus encore, ceux du désir érotique, enfin libéré.

 

L'action se passe dans un coin reculé du comté du Stropshire au début du 19ème siècle. Sarn est le nom de la terre, de la ferme et par voie d'usage, de la famille qui y habite et pratique la culture et l’élevage des moutons. Le fils Gédéon, terrifiant personnage qui évoque Heathcliff, la fille Prue et la mère veuve compose une sorte de triptyque atypique qui évolue dans ce cadre rural, quelque peu excentré d’une communauté de villageois et de fermiers encore imprégnés de préjugés et croyances archaïques.     

 

La campagne alentour de leur ferme, mystérieuse et colorée par une végétation exubérante et anarchique du fait de la proximité d'un lac aux eaux troubles, exalte l'esprit imaginatif et généreux de la jeune Prue, affligée d'un bec de lièvre, ce qui dans ces régions reculées, peut  encore  vous conduire à la mort.

 

Prue est un personnage absolument magnifique et ce livre est tout bonnement une totalité. Une analyse des mœurs sociales de ce temps  conduite par un sens de l’observation très aiguisé, démultiplié par la profondeur presque mystique des sentiments abordés. Alors que Jane Austen, qui la précède de près d’un siècle dans ce registre de la peinture sociale, cisèle ses modèles pour brosser un tableau le plus objectif possible d'une époque et d'un milieu, Mary Webb invente un lieu de magie, un univers à la fois banal et paroxystique. Un concentré d’humain dans lequel le regard limpide de la jeune Prue, le versant oblatif de sa nature, mais en même temps la rigueur de son intelligence et sa force de conviction intime, feront plier le destin qui semblait vouloir la briser.   

 

Le miracle de ce roman est que ses multiples ingrédients, tension d’une intrigue assez musclée, amplitude du style et foi de la jeune romancière en l’espérance se fondent en un crescendo qui ne tombe à aucun moment dans la mièvrerie ou la procédure maniérée. L'aspect moral jamais confus ou amoindri, jamais primaire, sinue à travers le récit comme un fil de lumière, le mène à l'apothéose d’une fin qui conclut heureusement cette oeuvre étourdissante, pleine d'une vitalité post-romantique.

 

Sarn

Mary Webb

Publié en 2008

Éditions Grasset

Edition originale 1924

Titre anglais :

Precious Bane

A novel by Mary Webb

Publiée par

Jonathan Cape, London 

 


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