Que votre vie galope Comme ce cheval rouge à travers les arbres (2007)


" Quels sont vos thèmes ? "

 

J'ai toujours eu du mal à m'exprimer en public aussi bien qu'à définir à brûle-pourpoint ces fameux thèmes lorsque l'on me pose cette question. Je me sens plus à l'aise ici, au milieu des mots, accompagnée par un public qui demeure invisible mais pour lequel j'écris, avec beaucoup d'enthousiasme, et de toute évidence, empreinte du sentiment très vif de sa présence.

 

À cette question sur mes thèmes, finalement, je devrais répondre par ce seul mot : l'humain.

Car c'est bien lui l'axe autour duquel je tourne ! Humain ce qui est comme moi, avec son regard, son expression, ses gestes, sa voix, cette énormité de l'existence physique, déjà. Près de moi, face à moi ou de dos. Me croise, m'attend, se retourne, s'approche, me quitte. L'humain, ce qui reste en moi de plusieurs centaines de millions d'années d'existence : cette étincelle qui s'est développée et dont je prends la relève aujourd'hui, à chaque instant. L'humain les doigts qui touchent pour prendre ou donner ; l'humain le pied qui bouge ou s'immobilise, lance un ballon ou fait des pointes. L'humain le coeur qui se met en marche, bat, tremblote et qui s'arrête.

 

Où est la flamme que des mains préhistoriques ont allumé dans ce cerveau ? Où est le premier pain de cette conscience dont je mange encore les miettes ? Aucune trace du moment magique. Je ne vois ici ni torche ni petit bois ni cendres. Et pourtant, les braises de ce feu d'autrefois illuminent encore la nuit intérieure qu'est notre cerveau où des éléments infimes galopent à tout instant pour nourrir la pensée, l'attiser, l'obliger à flamber, recueillir ce texte ininterrompu depuis.... Mystère de toute genèse.

 

L'HUMAIN, mon thème ? Oh, plus que cela ! Ma passion, ma curiosité, ma proximité absolue, l'objet miraculeux qui nourrit le démon de mon écriture, au sens où l'entend Faulkner, daïmon. Il vous tient, vous aiguillonne.

 

C'est pourquoi dans cette poésie qui me tient du crâne jusqu'aux tripes, je m'immerge dans l'espace des mots, je me colle à eux pour leur impulser le maximum de cette vie tenace, vibrante, impérieuse qui brûle en moi. Que chaque mot soit issu, comme l'écrit René Daumal, de la chose qu'il porte. "Car dans un vrai poème, les mots portent leurs choses." Tellement profonde, cette réflexion. Tellement profondes, ces choses.

 

C'est tout ceci que j'ai concentré dans le recueil Que votre vie galope... Quoique l'on veuille exprimer, on voyage avec le langage, ce berceau précurseur, cette prison aussi, de la réalité. Je voulais donner aux mots une chair qui surgisse là, qui affleure au texte. Que l'on ait l'impression de pouvoir étendre la main et de saisir quelque chose de vrai, de tangible. Faire s'enlacer les mots mais aussi qu'ils se cognent les uns aux autres pour leur créer une vie. Les faire frissonner au coeur même des images, les brasser en pensant à l'été, à tous ces champs de blé, aux prairies, à la terre par-dessous qui prépare, malaxe et pousse vers nous toute cette vie qui existe sans jamais mourir, elle.

 

Ta Couronne

 

" Ne regarde pas terre qui tombe de ma bouche,

elle est dure à mâcher, les ailes des insectes

les voilà qui s'envolent : paroles !

Réchauffe tes mains gelées à l'âtre des bouquets,

jusqu'à l'intime arôme respire la corolle.

 

Dans les pièces de réception, haies de rires, clôture

de saison,

les chaises alignées t'observent.

Le bois des étagères emprisonne les livres,

d'eux ne se répand plus

cet aliment de l'âme

nécessaire à nos vies ;

tout sens a déserté leurs lignes

d'eux ne suinte à présent

que leur peine, car les mots eux aussi

souffrent. "

 

****

 

Tes poumons se remplissent avec rudesse, tu vogues au rythme esclave des anciens galériens, chavirée dans ressac roule sous l'écume venant biaiser ta voile, l'oeil en chute vers l'océan devine ses grands fonds, l'effroi devient détresse, la réverbération en surface est intense.

Autour de ta personne, l'air te roule en cascades, en torrents, l'espace de ses mains turbulentes étreint galbes, corail gonfle ses flancs, Borée portera loin devant la houe de ce blé, épouse du soleil m'attire contre lui, qu'il s'embrase, l'explosion le rompra, dans son rayonnement s'enveloppe l'aridité.

 

Corps

qui marche, habité d'un seul axe

avec son mouvement

d'horloge et sa sauvagerie.

 

Séquelles du soleil

 

Essaimant d'étincelles, le soleil le dore, ce corps, vitesse le propulse en rencontre des météores, la pluie, les coups, saignements ; le printemps et ses tièdes effluves viendra lustrer sa peau.

 

Reviens, naine échappée ! ce jour qui est tien : lumière et la durée te tissent une tunique, bouclier déclaré intouchable par quiconque autre que Toi.

Regarde ! Déjà, la boue se lève

à ton apparition

 

****

 

il demeure un espoir ?

Appuyée au tronc d'un gingko

viens sève, qui active la poussée des chatons,

Bruis, captive que nous délivrons,

ruisselle et court le long du végétal

du bas de ses racines jusqu'au fronton ;

à l'orgue du printemps bat le rythme :

ondée de chlorophylle, toiture de ses feuilles

 

Formant dais, cachant la fugitive ;

dans l'étoffe du bois, affaibli par le sec d'hiver

imaginer la nuit de nos poitrines,

le cri des peaux sur elle s'étend

baisé de froid.

{...}

À l'aube crépitante, toute lèvre affamée parle à l'obscurité, dans le lit immobile ;

se brise, se distend, la chair demande encore à reculer sa vie – c'est d'ailleurs toujours Non –

Toi aussi tu entends le vent ?

 

Sombres sont les sous-bois, la souche vue de loin ressemble à un bison, une aigrette de roses semble celle d'un paon, terreau noir et puissant, livrant son étendue,

il ne s'agit que flot qui nous enchaîne,

 

contre les joues se presse, l'obligeant à sortir du rêve, main donne à peau qui tremble un semblant d'existence tout en broyant ses os

est-ce humain ?