Exercice d'amour -Extraits

Ils flânaient le long des rues bruyantes et animées, traversaient les marchés. Des femmes pétrissaient le manioc avant de le glisser avec dextérité dans une feuille roulée en cornet. Sur les tables grossières, s'accumulaient les poissons séchés, les gros escargots à chair jaune, les modestes paquets de cacahuètes enveloppées de papier journal. Les soirs où il ne s'absentait pas, ils se promenaient.

La lueur de la lune révélait le contour pâles des ipomées. Toute cette beauté l'émouvait, évoquait le souffle de sa jeunesse. Elle oubliait qui il était. Elle aurait aimé le réduire à un vieux troubadour, un Lorenzaccio de pacotille. Mais, malgré son arrogance d'homme mûr, une douleur glacée perçait sous l'armure de Cazette. Elle devinait que sa vie comportait de grands pans d'ombre qu'il ne consentirait pas à éclairer : jamais elle n'arriverait à arracher à ce visage hautain le masque dont il s'était affublé. Elle trouvait irritante sa duplicité, son esprit sarcastique, sa complaisance envers lui-même. Elle s'exaspérait de cette phrase qu'il répétait : " Un homme tel que moi attire forcément les inimitiés. "

Quoi, quel homme ? pensait-elle, agacée.

 

***

Un beau type qu'elle avait rencontré quelques mois auparavant. D'une courtoisie sans faille. Il l'invitait dans des restaurants agréables, réglait si discrètement les additions qu'il rendait l'aspect prosaïque des choses inexistant. Pour finir, un soir, il avait posé entre eux un billet d'avion à son nom. " Je voudrais que vous veniez avec moi. Que vous m'épousiez."

 

Il lui avait parlé avec animation de son pays, surtout subjugué par les forêts. " Vous ne pouvez pas imaginer la hauteur des arbres, l'épaisseur des sous-bois. On n'entend même plus les oiseaux ! " Elle avait eu envie de découvrir ces endroits qu'il évoquait avec ferveur, ces terres baignées d'une eau lourde et mystérieuse. Elle avait accepté sa proposition.

 

*** 

En arrivant à la maison, le silence qui régnait la surprit. Les ventilateurs ressemblaient à de gros insectes cloués au plafonds; en haut, elle poussa machinalement la porte de la chambre de Cazette, jeta un coup d’œil au placard resté entrouvert. A cet instant précis, le téléphone sonna.

Elle descendit quatre à quatre, se précipita dans le salon. C'était Cazette. Elle fut heureuse d'entendre sa voix mais dut appuyer sa main contre la table pour s'empêcher de trembler. Il ne fallait pas prêter attention à ce petit objet que Steve avait montré. Une simple mesure de prudence, elle l'admettait. Cazette regrettait de l'avoir laissée seule. Il s'ennuyait sans elle, précisa-t-il. C'était étrange qu'il le lui dise alors que les vagues de la peur battaient en elle. Il lui sembla surprendre dehors, assourdi par le bruissement perpétuel de la végétation le ronronnement d'un moteur. Puis, des pas sur la terrasse. Elle se raisonna, répondit à Cazette qui s'enquérait de l'entrevue.

Elle le mit au courant des arrangements pris avec Steve pour le lendemain.

– Vous voyez ce n'est qu'une histoire d'argent. Ne vous tourmentez pas.

Il parut soulagé, voulut quand même lui indiquer l'endroit où elle trouverait de quoi se défendre et insista pour qu'elle aille le chercher immédiatement. Elle posa le récepteur sur la table, gravit en courant les marches de l'escalier. Elle vit en passant que la porte de la chambre de Cazette était restée ouverte ; un des volets battait contre le mur de la terrasse. Elle se sentit soulagée. Ce devait là le bruit qu'elle avait confondu avec des pas ! Fouillant dans le meuble de chevet elle en sortit ce qu'elle cherchait, grossièrement enveloppé dans une housse de toile, puis se pencha de nouveau pour attraper le chargeur de balles.

Alors, Steve s'avança sur le seuil et dit avec douceur :

– Posez ça, mon chou, tout en posant un doigt sur ses lèvres.

Elle se redressa, laissa tomber l'arme sur le lit.

 

***

Annette était magnifique le soir de ce dîner ; habillée dans un costume, dont le pantalon à l'étoffe satinée ondoyait le long de ses jambes. Sur sa gorge dénudée brillait un collier fait d'une matière laiteuse. " Ces pierres portent malheur", chuchota quelqu'un derrière moi. « Malheur à celle qui les porte ou malheur à ceux qui les regardent ? » interrogea-t-elle en fixant Cazette. Elle avait l'air d'une jeune reine avec son bijou inquiétant et ses yeux noirs. Tom proposa que les risques de malchance soient partagées et que l'on place les opales au milieu de la table, entre nos verres ; ainsi disposées, elles ressemblèrent aux anneaux voluptueux d'un serpent, celui que l'on appelait le serpent blanc, regagnant son nid. Après le dîner, Cazette insista pour que nous dansions. Je pus une fois de plus admirer le couple de danseurs qu'Annette et lui formaient. Tom m'invita. « Ton mari, chuchota-t-il, il a l'air jaloux. Tu peux me dire pourquoi je suis ici ?» Je préfère oublier l'expression de son regard. Je préfère oublier le feu rampant autour de Steve dans les sable en une sorte de danse frénétique et la voix qui gémissait dans l'ombre.

Au bout d'un certain temps, Cazette vint me retrouver, me tendit les bras. Je me blottis contre lui. Je faisais des rêves dans lesquels les fleurs étaient rouges et les maisons hautes et noires. « Ce garçon, dit-il, il te faisait rire. Inattendu, non ? »

J'avais l'impression que la pièce entière était empli de son parfum, de cette odeur de cuir et de citronnelle. Que les autres ne tarderaient pas à s'apercevoir de mon trouble. Je levai les yeux vers lui ; il m'observait. « J'ai encore commis un impair ? demanda-t-il, est-ce la présence de Tom qui vous embarasse ? Rappelez-vous ce que je vous ai dit, l'autre soir. » Mes yeux se remplirent de larmes. Ce jeu était fatiguant à la longue. Il me serra alors dans ses bras et m'embrassa doucement sur la bouche. J'étais heureuse.  

 

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