Grande Sérénade (2000)


Prix des Octaviennes, 2000

Académie Renée Vivien, prix Calliope 2007

Grande Sérénade inclut trois motifs de poèmes, assez différents les uns des autres. En début de recueil, les poèmes de Evocations profanes sonnent comme des rêveries saphiques de jeune fille. La déesse Diane supervise les activités ludiques et érotiques avec arc et carquois, déplacement du traditionnel Cupidon qui frappe ses victimes droit au but avec ses flèches. Elle conduit une vierge consentante craintive vers des plaisirs charnels sans équivoque, un peu floutés par des références mythologiques.

 

Ensuite viennent Les Heures du combat, textes de la résistance à un avenir de femme destinée au mariage, non pas forcé comme dans certaines sociétés, mais induit par un inconscient collectif qui ne peut vraiment pas renoncer à cette image des sexes unis pour reproduire l'espèce, "deux pigeons qui s'aimaient d'amour tendre". Pigeonnes surtout, que les années 70 ont fait sortir du nid marital, pas toujours garni de plumes !

L'homme, le bel Époux est donc ici capté dans sa superbe que quelques évènements vont mettre à mal. Le thème est daté et les mœurs ont avancé vers une libération plus effective des femmes mais on ne peut occulter la lenteur du processus.

Si je devais reprendre cette suite de pochades féministes, nostalgiques d'une innocence politique plus confortable que la lucidité, je garderais Hyménée sauvage telle que, la subversion reste encore valable si on examine les publicités actuelles destinées aux hommes. Par contre, dans Les Heures du Combat, je supprimerais quelques passages évasifs ; je resserrerai le poème Peur, trop dilué, sans toucher au I dont la chute brutale est expressive ! Stabat est un tir à bout portant sur le pouvoir patriarcal. Malgré un style imprécatoire assez démodé, je ne le renie pas, son rythme cursif, nerveux, ses images cruelles mais finalement assez cocasses, portent leur poids de légitime révolte.

 

En fin de recueil, Grande Sérénade. Finis les émois d'une sexualité presque onirique. Surgit la vitalité d'un désir qui exige la totalité amoureuse, le don incandescent du cœur et du corps. Poème à double voix, destin croisé qui réunira l'héroïne à sa Chevalière anonyme, celle qui l'attend à l'autre bout du pays, et peut-être même à l'autre bout du monde.

Invocations profanes

 

 V

 

À manteau de neige

je me suis livrée,

vierge.

 

Le voile soulevé

de clore l'enchantée

forêt.

 

Sans refermer jamais

la fenêtre sur ces si beaux

flocons.

 

Les laisser venir

tomber doucement,

duvet.

 

Devenir la vallée

soyeuse, recouverte

de neige.

 

Qui chantent, qui valsent, qui cognent, qui frappent, qui picorent,

redemandent, versent, brûlent, glacent, qui dansent, les flocons.

 

VII

 

M'a menée avec elle dans un pays,

m'a ouvert et priée d'entrer.

Sur un plateau, les boissons.

Sur le lit, des couvertures chaudes.

 

M'a entraînée loin, m'a menée

d'où l'on ne revient pas. M'a conduite.

A fermé les portes derrière moi,

m'a trahie, m'a repoussée, m'a laissée.

 

Chère main, visage dérobé, amour, plaisir, retirés. La nuit, morphine dans les veines. Main, j'ai faim du chemin.

 

 

Les Heures du combat

Peur

I

Sans verge sans talon sans pied pour appuyer, sans lamelles pour observer, sans micros, sans maison, sans château avec sentinelle,

 

sans Grandeur ni Altesse, sans avion ni fusée, sans royaume sans adoubage sans tournoi ni lance ou étendard de clan,

 

sans métronome, sans escalade de l'Anapurna, sans Grand Canyon du Colorado, sans pays sans carte sans fierté, évacuée

 

laquais femelle.

 

 

Grande Sérénade

 

Je marchais vers toi, sachant qu'aucun jardin ne pourrait me combler en ton absence, qu'aucun destin ne pourrait suffire à ma course sans mon âme inserrée dns ta vie, chevalière encore anonyme,

 

qui circule dans son domaine, ses mains expertes au jeu qu'une fusion réveille, tes yeux inconnus : que se soulève d'eux le voile de l'attente, vocation pour mon âme à frémir, réjouissances,

 

source dont l'afflux contraint à ruisseler, montagne renversée du sommet à ses fondations, mémoire de ton nom répondant à chacune de ses lettres, appel répercuté à des parois secrètes,

 

échappée des consignes de méfiance, je détourne de moi tout autre refuge que tes bras refermés sur moi, caresses d'un souffle balançant les murmures encore innocents,

 

liberté de ces poings désenchaînés, visions de toi tantôt proches, tantôt éloignées, sans tergiversations ni impatience, l'oreille insensible à ce qui n'est pas ton chant, l'oeil aveugle à ce qui n'est pas toi, l'ultime.