Ameh ...
Rien ne peut l'atteindre. Je comprends ce désir d'Angèle de briser la carapace de sa mère.
– Qu'est-ce qui vous fait rire ? Toujours à vous moquer ! Vous ne ressentez donc jamais rien d'humain pour les autres ? Du respect, par exemple ?
Elle rit de plus belle au point d'en avoir les yeux qui pleurent.
– Alors, ça non, mon lapin, ce n'est pas du respect que j'éprouve pour les autres, surtout pas pour toi ! Ça ressemblerait par exemple... au plaisir que l'on prend à déguster une mangue bien mûre...
– C'est malin !
Je la déteste. Pourtant, en la voyant rigoler, je prends conscience de l'allure que je dois avoir, debout, nue, les bras croisés, l'air furibond. Un sentiment joyeux qui vient de loin lutte contre l'humiliation que m'inflige son ironie moqueuse. Quelque chose craque au niveau du plexus et dénoue mon ventre. Monte à ma bouche où éclate, ô horreur, le même rire que celui d'Ameh. Comme elle est dangereuse, Ameh Lakkar, vous faisant oublier ce qui n'est pas l'instant, la vie, le désir, le corps.
– Ah, dit-elle en me tendant les bras, tu es tellement plus belle quand tu as l'air heureuse !
***
– Tu en fais une tête dis donc ! À quoi tu pensais ?
– À votre boîte. Je n'arrive pas à me souvenir de ce qu'Angèle a dit à ce sujet.
– Te casse pas la tête ! Un de ces quatre, ça te reviendra.
– Bien sûr !Tilt ! Et la voilà, votre boite avec juste les papiers qu'il vous faut. Comme pour Saül qui entend une voix sur le chemin de Damas. Coucou, c'est moi, Dieu. Saül devient Paul et bla bla bla Corinthiens blablabla Éphésiens. J'aime encore mieux l'Apocalypse avec ses septs lampes ardentes et sa Bête, son aigle... Son étoile dont le nom est Absinthe.
Ameh sourit.
– Je ne te savais pas aussi savante, dis donc.
– La Bible et le Nouveau Testament, ce sont les seuls livres que je lisais autrefois. Nous y sommes tous là-dedans.
– À d'autres, ma biche ! En dehors de Sodome et Gomorrhe, il n'est pas tellement question de nous dans ton bouquin.
– Dans la Bible, si.
– Tu veux sans doute parler de l'Arche d'Ameh ?
– Très drôle.
– La Vierge Claude visitée par Saint Lakkar...
– Le Diable vous attrapera, vous verrez. Vous regretterez d'avoir blasphémé.
– C'est toi qui as commencé avec ton bonhomme Saül !
– Oh, allez, on arrête ! On ira toutes les deux en Enfer, avec vos précieux papiers sous le bras. À vrai dire, j'en ai marre de stationner sur cette véranda. Et puis, votre histoire de boite... Téléphonez à Angèle. Demandez-lui où elle est.
– Recommence pas, mon lapin. Tu sais bien qu'on ne peut pas la déranger. Elle est en cure de sommeil.
– Oui, et nous en cure de cinglerie, c'est ça ?
Elle jette la corde à terre, me saisit par le bras.
– Allez, ouste ! Le bol d'air frais, ça suffit. Si on peut parler de frais dans ce foutu pays.
Le soir, allongée dans le lit, je contemple les étoiles à travers la verrière ; je cherche l'étoile Absinthe qui changea le cours des eaux et les rendit mortelles. Je ne la trouve pas. Je me tourne, appuie mon visage contre le dos d'Ameh ; puis je regarde les étoiles, à nouveau. Ameh, dit mon coeur en secret, je t'aime pour la vie.