Myriam et Diane - Extraits 1

extraits Myriam et Diane

 

La rencontre, à Cabrières. Myriam s'y trouve pour son travail. Diane, on ne sait pas.

 

Jamais un sentiment semblable n’avait envahi le cœur de Myriam aussi vite, aussi violemment, l’irrésistible envie de saisir cette tête aux cheveux bouclés, de la tenir serrée contre sa poitrine. Au plus profond, des mots criaient. Son corps pris dans le soleil de ces yeux posés sur elle, brûlait. Une joie éperdue l’emplissait, étirait les arbres vers le ciel, les rendait mystérieux. Les idées les plus incongrues lui étaient passées par la tête, une exaltation qu’elle n’aurait jamais cru possible. Diane s’apercevait-elle de ce qui se passait ? Myriam contenait avec peine cette émotion qui ne cessait de croître en elle. Ses mains tremblaient. Quand Diane lui demanda une cigarette, elle laissa tomber le paquet par terre, et dut se pencher sous la table pour ramasser les cigarettes une à une, n’osant porter son regard sur l'éclatant pantalon dont le rouge éclatait contre le blanc du fauteuil en métal laqué. Elle avait tendu la cigarette demandée, offert du feu. La flamme de son briquet vacillait. Faites qu’elle ne parte pas sans me donner son numéro de téléphone. Tout vibrait dans l’air parfumé de l’odeur des aiguilles de pin, son cœur battait. Soudain, elle n’avait plus eu faim. Et affreusement peur, en même temps.

 

Dans la nuit, Myriam et Diane ne retrouvent plus la petite route qui mène à Simiane.

 

Elles avaient longé un mur par endroits effondré, au-dessus duquel se courbaient les branches de grands platanes. Le portail n’étant pas fermé, Diane avait suggéré qu’elles aillent demander leur chemin vers Simiane aux habitants de la maison.

À cette heure ? Ils vont être furieux.

S’ils dorment, nous repartirons, voilà tout.

Et les chiens ?

Il n’y a pas de chien. Nous les aurions déjà entendus.

L’allée qui menait à l’habitation n’en finissait pas, des feuilles arrachées par le vent voltigeaient en tourbillonnant. Myriam sentait le terrain inégal sous les roues. Soudain était apparu un second portail de pierre, aux grilles noires surmontées de leurs piques dorées, le nom gravé dans la pierre moussue, Harmédor.

« Le nom du domaine, s’était exclamée Diane, Harmédor ! » Un orage avait éclaté au moment même où elles venaient de découvrir l’étable. Un cheval, debout dans sa stalle, la tête tournée vers elles, les regardait avancer.

Les gens ne sont pas là.

Ou partis à la plage, suggéra Myriam, qui détestait les orages.

Ignorant sa plaisanterie, Diane s’était dirigée vers le cheval.

Attention !

Qu’y a-t-il ? Je ne lui veux aucun mal, il le sait.

La lueur des éclairs, violents, éclaira la scène, Diane entourant de son bras l’encolure du cheval, lui parlait à l’oreille. L’animal semblait graver en lui les paroles qu’il entendait. N’était-ce pas plutôt une statue, sa crinière pâle encadrant des yeux pensifs ?

Tu es sûre qu’il est vivant ?

Comprenant que Myriam ne plaisantait pas, Diane la regarda avec stupeur, imprimant une légère poussée sur le flanc de la bête.

Montre-lui que tu existes. Allons, va.

La dernière image qu’elles avaient eue de lui était celle d’un animal s’éloignant parmi les bourrasques dans les sous-bois où il s’enfonçait, sa robe striée par les éclairs. Harmédor.

Le lendemain, Diane avait interrogé les patrons de l’hôtel, le couple de la librairie, parisiens installés à Banon qui connaissaient bien la région. Personne n’avait jamais entendu parler de quoi que ce fut ressemblant à Harmédor. 

Les deux femmes se sont retrouvées coincées dans les combles du Palais des Papes à Avignon.

 

– Viens, je te dis ! 

Elle avait d’abord cru à des brumes de chaleur. Trop tôt. Le ciel était encore assombri, de légers nuages passaient sur la lune qui s’estompait. Elle resta accoudée au rebord. Des ombres s’agitaient dans la prestigieuse Cour, l'une d'elle se dégageant des autres, bondissant, ses bras longs, immenses, jambes ailées, pieds touchant à peine terre.

– Des fantômes, chuchota Diane, fascinée.

– Une danseuse, Carolyn Carlson.

– Tu la connais ?

– Je l’ai vue répéter Antigone, une fois, avant de te rencontrer. En solo dans cet espace cerné de murailles échappe aux lois de la pesanteur. Puis, n’est-ce pas Merce Cunningham qui vient ? Il n’a pas encore subi les attaques de l’arthrite qui lui conféreront cette allure dégingandée, continuant de danser malgré ses pieds martyrisés. Les larmes lui montent aux yeux devant la perfection de ce porter qu’il est en train d’exécuter. Il soulève de terre, comme s’il la cueillait, une de ses danseuses, lui fait décrire un arc de cercle dans l'air, la maintient au-dessus de lui, leurs quatre bras levés, figure épurée se reflètant sur le mur éclairé derrière eux, leurs corps peu à peu plongés dans l’obscurité. Les silhouettes se faisaient toujours plus nombreuses, se croisaient, s’empoignaient.

Elle étreint les épaules de Diane. Elle voit le mur, les meneaux des fenêtres papales, l’ogive, la pierre baignée de la chaleur du Midi, tels qu’elle les avait découverts l’année de ses quinze ans, attirée comme tant d’autres par l’aura grandissante du Festival d'Avignon et de son fondateur, Jean Vilar. Viendrait-il, lui aussi, dans cette aube naissante ? Pas encore. C’est un duc qui gît à terre dans sa veste déboutonnée. Duc de Florence, assassiné à l’instant par Lorenzaccio. Gérard Philipe, yeux perdus dans cette aube blafarde, passe sa main sur le front du mort.

Mais déjà l’image s’évanouit, une autre apparaît.

 Regarde, ils s’accrochent les uns aux autres.

 Ils ont peur, répond Myriam. Peur de Dom Juan étendu, oui, elle le reconnaît, Jean Vilar, son profil, ses cheveux bruns, sa tête reposant à même le sol. Puis voici Lady Macbeth, Maria Casarès dans sa robe noire, les pans de son long col caressant la terre au rythme de sa marche, à la main un flambeau qui ouvre les ténèbres.

 Tu es toute blanche ! Qu’y a-t-il ?

 Rien, mon amour, il n’y a rien.

Le soleil s’était levé. Le chemin pour redescendre avait été facile. Se mêlant discrètement à la foule des visiteurs, elles avaient traversé la chambre du pape amateur d’oiseaux. Dehors, la chaleur montait, la vieille veste de Diane avait glissé à terre, un homme la lui avait ramassée et tendue, elle lui avait souri en le remerciant. Quel bonheur tu m’as donné !

...

 

 

La rumeur de la ville monte vers elle. Elle écoute le bruit des voitures, les cris des enfants qui jouent sur le trottoir, le frmissement des feuilles agitées par le vent. Elle se lève, prendle petit livre d'Évangéline avec elle. Lorsqu’elle a déversé le contenu de la valise trouvée au fond du placard il y a peu de temps, il s’en est échappé avec, inattendus, terrifiants, les Carnets de Diane. ...suite

 

 

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