Myriam et Diane - Extraits 2

extraits Myriam et Diane

 

 

Myriam chez elle, se remémorant des scènes de sa vie avec Diane, hésite avant d'ouvrir ces Carnets qu'elle a trouvés dans un placard où Diane les avait cachés.

 

Elle se brosse les dents, observant son visage. « Qu’en dirais-tu maintenant ? » demande-t-elle à Diane, qui effleurait ses paupières d’un doigt léger. Tu prétendais que j’étais austère. Non, voyons, je regarde marcher devant moi ton corps superbe, je sens sous mes doigts ton sexe exigeant mes caresses avec impétuosité, tyran voluptueux qui échappe à tes pudeurs, épanouissement du plaisir dans l’intimité la plus concrète. La nuit tombait sur les ravins, l’air s’opacifiait, dans les taillis se blottissaient blaireaux, biches, chevreuils. Arrêtées sur le bord d’une route secondaire, dans le froid de ce crépuscule de montagne, elles avaient aperçu deux hérons venus se poser à la cime d’un arbre. Un matin d’avril, une laie bondissante suivie de cinq petits, traversa sous leurs yeux un sentier à l’écart. Diane avait insisté pour prendre ce raccourci. » (.... ) Faire l’amour. Étroitement soudées, le pied mince de Diane montant et descendant sur sa jambe, heures hors monde, « notre bulle » disait-elle, et la musique, après.

Les dîners à la cuisine, une bougie se consumant dans un bougeoir en cuivre. Par les fenêtres ouvertes, les voix des gens montaient vers elles durant les soirées d’été, la cour où trônait une fontaine en pierre. Cela fait plusieurs jours qu’elle résiste à la tentation presqu’insupportable d’ouvrir les carnets. Un seul ? Insinue le désir de savoir, juste un. Non. On ne viole pas impunément le royaume des morts. Chaque fois qu’elle s’approche de l’étagère où elle les a posés, son cœur bat à tout rompre, ses jambes flanchent. Elle aurait mieux fait de les jeter. Pourquoi les gardes-tu si tu n’as pas l’intention de les lire ? Étroitement soudée par le corps, pensait-elle à l’instant, mais incapable d’affronter l’ultime connaissance d’une femme adoré, fixant le carnet qu'elle a saisi malgré elle. Sous ses doigts glisse le cartonnage glacé de la couverture rouge et noire, orné de deux lions qui évoquent le blason du royaume anglais. Ne rien savoir de plus, cuver la douleur jour après jour ? Savoir... Quoi ? Que les lignes tracées ne seront que vaine réplique du temps partagé avec Diane, que l’écriture des morts est puissante, la tiendra désespérément accrochée à l’espoir d’un retour chimérique, elle qui hait tant la religion, ses illusions. Écriture aperçue à l’instant qui deviendra sa drogue à partir de ce soir. Chaque fois qu’elle ouvrira un carnet, elle revisitera le passé à deux, mais seule, quelle folie ! Elle les refermera tous, les uns après les autres, et alors, la réalité fondra sur elle comme un faucon. Tous ces mots encore inconnus... Écrits pour elle, ou pour rester secrets ?

  

Myriam finit par ouvrir et lire les Carnets, retrouvant la voix de Diane à travers les mots mais découvrant aussi toute une partie restée secrète de sa vie.

 

Photos sur les remparts. Les oliviers descendent doucement dans la vallée, couleur d’eau et d’argent. Il y a beaucoup de monde autour des cathédrales. Au moins cent boutiques de souvenirs ! La lumière est douce, il ne fait pas trop chaud. Nous cherchons un gant de toilette. Difficile à trouver. (Une éponge vaut 11 000 lires). Assise baigne dans la religiosité, dans une lumière particulière, morbido a dit Myriam, ce qui signifie, doux, suave. Dans la cathédrale inférieure, le ciel est bleu nuit (fresques) et les mosaïques ressemblent à celles des Maures. Nous montons sur l’esplanade, visitons le grand cloître Renaissance, pavé de pierres tandis que l’orage gronde. Le vent siffle à travers les murs. Un moine joue de l’orgue, un sentiment de mystère m’étreint.

 

Tant que je n’aurais pas tout raconté à Myriam, je me sentirai menacée. Mais si je le fais, j’ai peur que sa vision de moi ne change, que tout s’effondre. Elle n’y croira pas parce qu’elle est totalement occidentale et que toute une partie de cette histoire repose sur de l’irrationnel. Ça lui paraîtrait absurde de se tourmenter pour ça. À moi aussi, d'ailleurs quand je me place de son point de vue.

>Pourtant, une part de moi a peur que ce soit vrai. Ça, les malédictions, les mauvais esprits. Par exemple, lundi dernier, de la fenêtre du salon, j’admirais l’enfilade des marronniers. J’ai soudain senti une présence derrière mon dos. Je me suis retournée. Il n’y avait personne. (...) Cependant, je sais qui me cherche. J’ai vu l’ombre, une autre fois, je sais ce qu’elle veut. Cette ombre qui m’a rattrapée se bat contre Myriam, elle refuse mon bonheur.

 

Diane se confie à ses Carnets pour échapper à la culpabilité, à la peur de ce passé qu'elle n'a jamais osé raconter à Myriam.

 

« Crache le morceau, il n’est pas si énorme que ça, Bon Dieu ! » On voit que Werner ne la connaît pas... Des années d’un silence total sur les événements essentiels de ma vie ? Elle considérerait cela comme une trahison ! Elle aurait raison, je suppose. Elle est semblable à une tour où tout est agencé de façon à ne pas gaspiller son énergie. Au centre de la tour, une pièce isolée. C’est son cœur. Rayonnant d’amour comme les robes des bonzes défilant dans les rues les jours du Pimay. Son cœur, une chambre emplie de chants et de sifflets joyeux, la volière de Vientiane.

Les perruches voletaient de perchoir en perchoir, buvant en me regardant de leur petit œil rond. « Où est Kham ? » Je ne pouvais leur expliquer. « Un gouvernement fantoche », affirmait-il. Il rapportait des journaux, lisait les articles au fond du jardin, me montrait avec fierté les tracts qu’on lui donnait à glisser sous les portes. Nous tournions la tête vers les perruches soudain silencieuses. Il riait, la bouche cachée derrière sa main. «Des perruches patriotes», chuchotait-il. À moi, Kham pouvait tout dire. Au sein de l’oppression, je restais une sorte de lopin de terre vierge, un petit royaume où n’existait pas le danger.

 

Mais la lecture des Carnets où Diane apparait un peu comme une enfant qui ne peut franchir le seuil de ce passé, bouleverse Myriam, exaspère son désespoir et ses remords.

 

La tête lui lance, guêpes, frelons dans le cerveau. La fureur. Le désastre. Ta tête contre un mur. Ne pas crier, ne pas cogner. Être paisible. Rester calme, c’est ça ! Rire amer. Elle l’a payé, elle n’a pas fini de le payer, qu’est-ce qu’elle croit ? Que les guêpes vont lui sucer la moëlle, lui extirper ces frissons d’horreur dans le ventre ? Tu es folle ! halète une voix, ne pense plus à tout ça. Elle plaque sa main devant sa bouche, voudrait se l’enfoncer en entier, briser ses dents. Arrête. Que dalle ! Sans cesse, je désirais te toucher, me coller à toi bouche à bouche, le souffle brûlait, je sens encore autour de mes doigts ton sexe, sa chair délicate, ses odeurs et puis sa vie, amour, ce sexe qui m’appelle la nuit, je le sens qui bat, s’enveloppe autour de moi, tes cuisses, ton cul n’est pas mort, impossible. ( .... )

Foutez-moi la paix, vous autres. Ou tiens, prenez du granit pour habiller Diane, qu’elle ne sente pas l’humidité de la terre. Ferdinand s’occupe de tout, ta nuque repose sur de la soie, tissu qui lui seyait très bien. Oui, je sais. Couvrez-la avec soin pour son dernier voyage, ce train qui circule parmi les ombres. Arrête ! s’époumone la voix, pourquoi se triturer la mémoire sans pitié pour la morte. Et elle, pitié pour moi ? Elle ne me lâche pas d’une semelle, c’est plutôt ça, tiroir de la morgue en attendant le retour de Ferdinand. Je vous en supplie, pas de frigo pour mon amour, elle a toujours été fraîche, elle ne puera pas. Tu veux mon avis, ma belle? Le cerf dont la curée t’a fait pleurer est plus heureux dépecé que vivant, toujours aux aguets de ces bottes qui martèlent le sol de la forêt, sabots qui se rapprochent. J’entends tes mots, je suis aux abois de l’amour.

Nous aurions aussi bien pu descendre le fantôme, qu’en dis- tu, amour ? Avec le revolver subtilisé à Baden. Tu comprends, lui dit-elle, nous traversions des coins dangereux, sauvages. Peut-être que je prenais des dispositions pour que nous ne soyons jamais séparées l'une de l'autre. Je ne voulais pas qu’on te fasse du mal. J’aurais supprimé des gens vivants pour toi, pas seulement ton chinois revenant de ses ténèbres de merde. 

.... 

 

Je suis partie avec toi sans condition, contemplant ton corps jongler avec le soleil, jupes bariolées qui donc étaient aussi des mots. Mon oiseau des contrées extrêmes-orientales, mon enfant recouverte des plumes du printemps, mon cœur en soie. Je te vois dormir, bras posé sur ton front, tes cheveux sur le drap auréolé de lumière. Montre- moi le visage de tes treize ans. Nous réglerons son compte à Kham.

 

Ta main m’ôte la cigarette des doigts, “Myriam”» dis-tu avec ton beau sourire. Ton être entier vibrait, épars dans un lieu où chantent allegro, prestissimo, ou bien pourquoi pas, Alleluia ! De si belles vacances, en Suisse, le dernier été. Un orage, la pluie diluvienne, une porte qui se ferme avec fracas. Ce n’est rien.

 

 

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