Libertango de Frederique Deghelt

 

Un roman dense et poignant qui m'a conquise, instruite et enrichie. 

 

Libertango est un livre généreux à tous points de vue qui nous plonge dans le foisonnement du monde musical qu'il décrit, exalte et bouscule tout à la fois. Texte et sujet ancrés dans une sensibilité artistique à son plus haut degré d'expression, nous délivrent un fort émouvant message de paix et de conciliation. Un roman "plein", ample, une réflexion approfondie des multiples domaines de la pratique et du savoir musical qu'il explore.

Porté par un soutènement romanesque solide et finement élaboré, conduit par une langue volontiers lyrique, Libertango est un texte qui palpite, pleure, vibre, chante et explose en des pages de pure allégresse de vie musicale et de vie tout court.

 

Un roman à part, le roman-fleuve d'une âme, ouvrage d'érudition (un tantinet trop scolastique par moments), du fait que la musique y est en quelque sorte sa principale héroïne et constitue la dynamique essentielle du livre.

En pleine guerre 39-40, un jeune handicapé moteur, rejeté par une famille bourgeoise, replié sur sa disgrâce physique, est par ailleurs un surdoué qui s'ignore pour la lecture et la compréhension de la musique, pour ses arcanes mélodiques et instrumentales bien sûr, mais plus encore pour les valeurs de transcendance et de communication qu'elle met en jeu. Libertango est le récit d'un parcours exemplaire, chemin de croix physique et souffrances affective et morale pendant l'enfance, émergence batailleuse à l'âge juvénile et explosion artistique, amoureuse et professionnelle à la maturité.

 

Vu la personnalité du personnage qui grimpe de barreau en barreau l'échelle des héros charismatiques, le risque d'angélisme guettait cette surprenante épopée individuelle. Hé non ! La force de conviction de l'auteur neutralise les réserves que l'on pourrait faire. Frédérique Deghelt affirme sa certitude des bienfaits de la musique et de sa capacité à initier de spectaculaires métamorphoses par le biais de cette figure d'un chef d'orchestre atypique complètement hanté par la musique.

Obstinément prêt à tout remettre en question, y compris lui, pour imposer sa vision de l'art musical et la nécessité de rompre avec les codes d'écoute et de diffusion en usage, Luis est une création littéraire saisissante qui évolue sous nos yeux entre fiction et réalité. En effet, grâce aux nombreuses incursions dans le monde des arts et les multiples rencontres avec des musiciens connus que lui ménage la romancière, nous finissons par avoir l'impression qu'il s'agit d'un vrai chef d'orchestre existant, ou ayant existé. C'est une performance d'écrivain.

 

Mais les pages électrisées de Libertango, où l'on voit Luis conduire son Orchestre du Monde jusque sur les champs de bataille de Syrie, de Jordanie et du Rwanda pour apporter de l'amour, offrir quelques pauses de grâce, à des populations martyres, sont plus que de l'écriture, elles sont un acte de foi.

 

Ce récit d'une passion musicale entraînant dans son sillage l'histoire d'une reconquête de soi et des autres mérite absolument les éloges dont il a été comblé. Ce qui est formidable là-dedans c'est que, même si par cynisme ou par pessimisme nous n'adhérons pas à cette croyance inconditionnelle en le pouvoir de la musique à adoucir les mœurs, nous nous sentons de plus en plus solidaires avec le personnage au fur et à mesure du livre.

Il est possible que cette empreinte littéraire reste en nous un certain temps, peut-être même pour longtemps, comme un témoignage d'humanité et d'intégrité artistique.

 

Anne MICHEL

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